RésumésEmmanuel Barot (Toulouse II - Le Mirail) Jusqu’où peut-on, et comment, organiser l’auto-organisation ? Le poids de la « tradition de toutes les générations passées pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants » écrivait Marx dans le Dix-huit Brumaire. On peut regarder l’histoire du mouvement ouvrier comme l’histoire des leçons qu’il a tenté de tirer de ses défaites, depuis celle infligée de l’extérieur par le capital triomphant qui mit un terme au « printemps des peuples » de 1848, puis à la Commune de 1871, au « socialisme dans un seul pays » et à la terreur d’Etat imposés par le stalinisme au XXe siècle en son propre nom. L’URSS a pour longtemps entrainé dans sa chute le projet inaugural d’une société sans classes et sans Etat-vampire raisonnablement administrée par les producteurs associés. Pourtant, après presque trois décennies de triomphalisme du côté néolibéral, et d’un reflux du mouvement ouvrier mondial couronné par le sentiment de sa propre disparition, une vaste « indignation » prolongeant les luttes altermondialistes, et un second « printemps des peuples », ont remis au centre de la scène de profondes aspirations populaires, économiques, sociales et démocratiques, et l’espoir d’un monde sans chaînes. Ces explosions spontanées ont vite déchanté face à la hargne de leurs adversaires, et cherchent aujourd’hui les cadres renouvelés, les solidarités stables, qui seraient susceptibles à l’échelle internationale de maintenir, organiser et surtout accroître la confiance en leurs propres forces. Entre mouvement « ouvrier »etmouvement « social », il s’agira d’interroger avant tout l’opposition (au moins apparente) entre la perspective d’une reconstruction d’un « parti » mondial de la révolution, et celle d’une « coordination » de luttes dispersées, alternative qui faisait déjà débat au temps de l’AIT. En replongeant dans quelques classiques de la géopolitique, depuis Machiavel jusqu’à Trotsky et Gramsci en passant par Marx et les premières oppositions de gauche, le fil conducteur sera donné par la norme fondamentale de l’auto-organisation – l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ! –, dont la généralité fait à la fois la force et la faiblesse. Comment s’appuyer sur elle, en tant qu’incontournable foyer de convergence, tout en limitant le risque permanent de la dissémination qu’elle autorise, risque dramatique face à la guerre sans merci, la véritable contre-révolution permanente que le capital contemporain mène contre les prolétaires de tous les pays ? Joseph Daher (Université de Lausanne) La Révolution Syrienne, la gauche et la solidarité internationale Dans un premier temps nous reviendrons sur les dynamiques populaires et socio-économiques qui ont traversé le processus révolutionnaire syrien depuis plus de trois ans jusqu'à aujourd'hui. Nous examinerons également comment une majorité des observateurs, y compris une partie de la gauche et des mouvements dit anti-impérialistes, ont analysé le processus révolutionnaire syrien en termes géopolitiques, par en haut, en ignorant les dynamiques populaires d’en bas, politiques et socio-économiques. Les menaces verbales d’interventions occidentales à l'été 2013 n’ont fait que renforcer cette vision d’une opposition entre deux camps : les Etats occidentaux et les monarchies du Golfe d’un côté, l’Iran, la Russie et le Hezbollah de l’autre. Le principe selon lequel seules les masses développant leur propre potentiel de mobilisation pourront réaliser le changement à travers leur action collective se heurte toujours plus à un profond scepticisme de la part de nombreux milieux de gauche en Occident et plus généralement à travers le monde. Dans le cas de la Syrie, les militant-es soutenant toujours le processus révolutionnaire syrien sont accusés de prendre leurs désirs pour des réalités. On leur oppose qu’il y a eu, peut-être, un début de révolution en Syrie il y a plus de trois ans mais que les choses ont changé depuis. On leur dit que le djihadisme a pris le dessus dans l’opposition au régime, qu’il ne s’agit plus d’une révolution mais d’une guerre et qu’il faut bien choisir son camp pour tracer une issue concrète… Tout le « débat » à gauche est donc pollué par cette logique « campiste », qui s’accompagne souvent de théories du complot et qui brouille les démarcations fondamentales entre la gauche et la droite – et surtout l’extrême-droite. Finalement nous aborderons les formes de solidarités internationales qui existent et à envisager dans le cadre d'un soutien réel au mouvement populaire syrien. Adam Hanieh (SOAS, University of London) Workers, International solidarity, and the Palestinian Struggle This talk will examine the historical and contemporary experiences of international solidarity with the Palestinian liberation movement. It will provide an overview of the varied forms of solidarity expressed at both regional and global levels – ranging from material support through to the current Boycott, Divestment and Sanctions (BDS) campaign – and compare the efficacy of these movements at a time of regional tumult. Drawing upon an analysis of the nature of capitalist development in the Arab world, and emphasising in particular the importance of the regional scale, the talk will analyse the interaction between forms of solidarity and the exigencies of class and state formation in the Middle East. Finally, the talk will examine the differences and similarities between Western and Arab solidarity movements, and reflect upon what the Arab world can learn from the experiences of the early working class movements of the 19th century. Mathieu Léonard (auteur de "L’émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale" Paris, La Fabrique, 2011) L’AIT et les femmes : le rendez-vous manqué Peut-on retracer l’histoire d’un échec ? Malgré le souhait précurseur chez Flora Tristan en 1843 d’intégrer l’émancipation des femmes à une organisation internationale des travailleurs, les chemins d’une telle conjonction vont rencontrer différents blocages au sein de l’expérience de l’Association internationale des travailleurs fondée en 1864. Quelles ont été les tentatives et les résistances à inscrire la conquête des droits des femmes aux principes universels de l’émancipation des travailleurs ? Si de sérieux préjugés misogynes empêchent les délégués ouvriers, notamment les proudhoniens français, de poser en terme clair l’égalité entre les travailleurs hommes et femmes, la participation des femmes aux grèves – par exemple lors de la grève emblématique des ovalistes de Lyon en 1869 – et durant la Commune, va marquer, au moins symboliquement, l’entrée des femmes dans les luttes sociales. Marx écrit d’ailleurs, non sans encore une certaine condescendance : « Quiconque sait un peu d’histoire n’ignore pas que de grands bouleversements sociaux sont impossibles sans le ferment féminin. Le progrès social se mesure exactement à la position sociale du beau sexe. » Mais, affaiblie par la répression et disloquée par les divisions, l’AIT aura oublié d’inscrire en gras la nécessité de ce combat. Claude Pennetier (CNRS/CHS Paris 1, directeur du "Maitron", le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français) L’AIT au miroir de la biographie Le Maitron (Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français) a fait une grande place aux acteurs marquants de l’AIT comme aux traces multiples de l’action de la Première Internationale dans les régions comme à Paris. Situer ce corpus militant de plusieurs centaines de personnes dans l’ensemble du militantisme du XIXe siècle est une façon d’interroger la spécificité et la diversité des « internationaux ». Ce questionnement permet aussi de saisir les filières de la postérité. Jean Maitron s’était lui-même consacré à histoire de l’AIT. Son œuvre biographie autorise avec un recul de cinquante ans (puisque c’est le 50e anniversaire de la première publication du Maitron) les interrogations sur la question du militantisme ouvrier et populaire du XIXe siècle. Au moment où parait le Dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone (Maitron des anarchistes), le dialogue avec les « antiautoritaires » conserve-t-il une actualité ? Samuel Perret (Centre Histoire Espaces et Cultures (CHEC), Université Blaise Pascal Clermont II) De la Première Internationale à l’Association Internationale des Travailleurs de Berlin Nous proposons une communication orale sur la mise en pratique et la théorisation de l’anarchosyndicalisme à travers l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) de Berlin, fondée lors du congrès de décembre 1922-janvier 1923. L’AIT de 1922 se veut une réponse anarchosyndicaliste à l’Internationale Syndicale d’Amsterdam de 1919 d’une part, et à l’Internationale Syndicale Rouge (ou Profintern) fondée à Moscou en 1921. L’AIT de Berlin se revendique, jusque dans son appellation, de la Première Internationale, et notamment de la tendance organisée autour de James Guillaume et Michel Bakounine. Dans sa théorie comme dans sa pratique, l’AIT de Berlin veut coller au plus près des théories, mais aussi des pratiques, proposées par la tendance anti-autoritaire de la Première Internationale, comme notamment de la FRE, section espagnole de cette dernière. Nous diviserons notre travail en trois parties. La première tracera de manière historique, en s’appuyant sur des archives, les liens qui font de l’AIT de Berlin l’héritière de l’aile anti-autoritaire de la Première Internationale. Jusqu’à aujourd’hui, l’AIT de Berlin et ses sections mènent un travail de mémoire historique de l’aile libertaire de la Première Internationale, et s’en revendiquent toujours en partie. La seconde portera sur la formation idéologique et pratique de l’anarchosyndicalisme par l’AIT de Berlin, et la troisième sur son rôle dans l’internationalisme des conflits ouvriers. Les deuxième et troisième parties se voudront également ancrées dans le présent des luttes anarchosyndicalistes. Nous nous baserons tant sur des archives de l’AIT et de ses sections que sur divers écrits d'historiens ou militants. Hedi Saidi (Institut social Lille, Urmis Université Paris Diderot, Université de Constantine) Le mouvement ouvrier tunisien et ses perspectives internationalistes. À la veille du protectorat français en Tunisie (1881), nous pensons pouvoir y observer un procès de féodalisation-fractionnement du pouvoir politique et la constitution de grands fiefs terriens. Cette situation locale ne permet pas l’avènement d’une classe ouvrière, de luttes syndicales et d’une conscience politique aigue. Face à une féodalité-bourgeoise et à un système colonial étouffant, il est impératif de s’organiser et d’insérer ces mouvements de lutte du peuple tunisien dans un contexte international. La naissance du mouvement ouvrier tunisien se situe autour des années 1920. Son noyau s’est détaché de ses origines paysannes et/ou artisanales pour être qualifié d’ouvrier au sens propre du terme. Cette naissance est liée aux milieux de gauche français et tunisiens voulant s’insérer dans une dynamique internationaliste. Le mouvement syndical tunisien est le produit d’une situation coloniale et d’une classe ouvrière hétérogène. Il oscillera entre luttes de classe, nationalisme et internationalisme. Au congrès de Tours, sur les neuf mandats qui représentent la Tunisie, six se prononcent pour l’adhésion à l’IC et trois pour la discussion préalable. Le 18 décembre 1921, au congrès de la Goulette (banlieue nord de Tunis), nait le Parti communiste de Tunisie dirigé par M. Rimbaut. Ce congrès discuta les thèses liées à la question agraire et des rapports du Parti avec les syndicats placés sous l’influence de la SFIO. En 1922, il se détacha organiquement du PCF pour être directement relié à l’IC, décision qui restera théorique. Nous présenterons dans cette communication les grandes étapes de l’évolution du monde syndical depuis sa formation dans les années 1920 jusqu’à la « révolution » dite du jasmin en 2011. Les archives ouvrières ont grande partie disparu, les syndicalistes n’ont pas toujours en le soin d’en constituer, légalement reconnus par le décret du 16 novembre 1932 seulement, ils ont été l’objet, tout au long de leur histoire, de répressions atroces et fréquentes, provoquant destructions et confiscations de documents. Les témoignages oraux rassemblés par l’Institut supérieur d'histoire du mouvement national(Manouba, Tunis) à partir de 1995 permettent de retrouver les mémoires et les souvenirs. Les écrits d’historiens tunisiens facilitent l’élaboration d’une typologie de militants ouvriers et de définir leurs aspirations sociales, nationales et internationales.La presse de l’époque est un instrument de travail irremplaçable. Les journaux sont pleinement utilisables à l’heure actuelle, ils ont certes leurs limites et une histoire par la presse risque de n’être souvent qu’une histoire de la presse. Mais il nous a semblé qu’ils sont un outil très utile voire nécessaire pour mieux saisir l’articulation entre luttes de classe, revendications patriotiques et aspirations/solidarité internationalistes. Ce débat a des prolongements. Pour la période actuelle, certains décrivent l’éclatement des structures traditionnelles (H. Timoumi, A. Nouschi) tandis que d’autres, sans nier la crise de cette évolution, attirent l’attention sur la permanence de « l’inviolé » (P. Bourdieu, J .Berque). Débat essentiel, qui mériterait d’alimenter de nouvelles recherches. |